Depuis dix ans, Internet et les réseaux sociaux ont développé de nouveaux comportements tournés vers le partage et la collaboration. Ces comportements qui poussent à l'auto-organisation sont fondés sur une culture prononcée pour la transparence et l'accès libre aux données. En chaque internaute se cache un lecteur mais surtout un contributeur potentiel : la participation devient directe entre les lecteurs participants sous la forme d’avis ou de commentaires.
La relation avec les institutions politiques s'en trouve modifiée puisque de nouvelles formes d'interaction dans la gouvernance sont possibles en dehors des périodes électorales. Les sociétés contemporaines sont désormais confrontées à des attentes renouvelées : on parle ainsi de gouvernement ouvert (Open government), de données ouvertes (Open data).
Mais jusqu'où les expériences d'e-démocratie sont-elles allées ? Quelles potentialités recèlent-elles pour les citoyens ? Quels seront les impacts de l'e-démocratie pour la société ? Mais avant tout, qu'est-ce qu'on entend généralement par e-démocratie ?
L'e-démocratie kezako ?
On peut distinguer quatre grandes tendances que l'on retrouve dans le dossier de Territoires consacré à ce thème publié en février 2010 (n°505). On a d'abord le vote électronique qui connaît ses détracteurs en France. Il est utilisé principalement durant les élections traditionnelles et ne contribue pas à rapprocher les citoyens de la vie politique ou de leurs représentants.
La deuxième possibilité, qui est celle du gouvernement ouvert, repose sur l'idée que la gouvernance doit changer en même temps que les innovations technologiques. Cette évolution de la pensée démocratique implique que les processus de prise de décision, de gouvernement et d’administration doivent être aussi transparents que possible pour permettre une implication forte des citoyens en dehors de la période électorale.
À condition d'être intelligibles, les informations désormais disponibles via internet permettent d'inclure plus de gens dans la boucle en réduisant la distance entre les représentants et les représentés. On peut donc avoir accès au déroulement des travaux des assemblées élues et cette nouvelle transparence est un moteur de la confiance comme a pu l'être l'accès aux documents administratifs par le passé.
Un troisième aspect dérive du gouvernement ouvert sur l'extérieur. Il s'agit de l'ouverture des données publiques. On entend par là toutes les données publiques non nominatives ayant une dimension territoriale, produites soit par l'État, soit par une collectivité territoriale ou même une entreprise sous contrat public.
Ces données permettent, en étant réutilisées par les citoyens eux-même, de produire des services innovants. Comme cette dimension est complexe, Territoires reviendra d'ailleurs dans un prochain numéro sur les usages innovants qui peuvent être faits en France comme à l'étranger dans le domaine.
Enfin, la dernière possibilité à laquelle on pense quand on évoque l'e-démocratie est la participation en ligne. Qu'est-ce qui est vraiment participatif ? Qu'un processus soit accessible sur internet ou non, la question se pose. Pour séparer le bon grain de l'ivraie, il faut distinguer les sites de débat et les sites collaboratifs. Qui décide du résultat final ? Seuls les sites collaboratifs (comme Wikipedia) permettent que la synthèse soit validée par leurs participants.
La plupart des sites dits « participatifs » relèvent plus du débat public : les internautes réagissent mais leurs propos seront filtrés par les élus qui en feront leur propre analyse. Il n'y a pas plus de place pour peser sur la décision finale que pour une banale pétition, alors que la démocratie participative implique une redistribution des pouvoirs (et de la prise de décision).
L'e-démocratie sur le chemin de la participation ?
Comme chaque année, la ville d'Issy-les-Moulineaux vient d'organiser du 13 au 15 octobre 2010 les Trophées de l'e-démocratie qui récompensent un organisme qui, dans le cadre d'un projet de démocratie sur internet, « a su manier originalité et pertinence tout en remplissant l’objectif de rendre service aux citoyens ».
Cette année encore, beaucoup d'expériences scrutées et notées par la trentaine d'experts du jury relevaient davantage de l'e-administration que de la participation citoyenne. Ils ne résisteraient pas aux exigences portées par le manifeste que l'Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale (ADELS) a adopté cette année autour de trois valeurs essentielles que sont l'égalité politique, la justice sociale et l'auto-organisation. Mais qu'en est-il des lauréats du concours français pour l'édition 2010 ?
Trois grands prix ont été décernés dans les catégories International, Europe et France : pour la France, c'est le nouveau site internet du Médiateur de la République qui a remporté le trophée, tandis que le lauréat européen a été remis à la métropole de Rennes. Enfin, dans la catégorie Internationale, il s'agit d'une sénatrice australienne.
Quand il s'agit d'égalité politique, on soupçonne internet des pires maux. S'il est vrai que les internautes sont plus diplômés que les citoyens ordinaires, on pourrait reprocher à l'outil d'exclure de fait une partie de la population. L'expérience du Médiateur de la République apporte une nuance avec son expérience de-administration intelligente. Internet permet de simplifier les procédures de recours. Alors qu'elles sont soumises au droit de réserve, des personnes qui auraient peut-être gardé pour elles des situations kafkaïennes peuvent alerter le médiateur sous le couvert de l'anonymat.
Comme le rappelle le sociologue Dominique Cardon dans La démocratie Internet, « la méfiance à l'égard d'une parole sans contrôle ni censure cache une méfiance encore plus grande à l'endroit d'une société auto-organisée. » Alors que la justice sociale est certainement le parent pauvre de l'e-démocratie, force est de constater que la toile offre plus de possibilités pour toutes les expériences auto-organisées dont le projet d’encyclopédie Wikipédia est la réussite la plus connue.
Mais à qui ces expériences profitent-elles prioritairement ? Dominique Cardon le regrette, mais « derrière l'horizon démocratique du "tout-participatif" se reproduisent des partages qui ont pour origine l'inégale distribution des capitaux socioculturels. » Si l'on n'articule pas une forte présence sur le terrain à ces démarches en ligne, on oublie qu'internet est un outil de mobilisation et de collaboration parmi d'autres s'appuyant avant tout sur des réseaux humains. En continuant d'y prêter attention, on évitera de reprocher à l'e-démocratie de reproduire encore des clivages en ajoutant à la fracture numérique la fracture civique.
France
Le Médiateur de la République a été sélectionné pour son site Le Mediateur et vous, qui consacre sa fonction de relais entre les citoyens et les pouvoirs publics dans leurs réclamations. Le site est bel et bien collaboratif : les inscrits peuvent débattre et répondre aux experts ou encore dialoguer directement avec le Médiateur de la République qui pourra tenter de régler le problème. Les fonctionnaires, sous le couvert de l'anonymat, font remarquer des erreurs administratives qu'ils n'oseraient sinon pas signaler. Jean-Paul Delevoye le souligne : ce n'est pas de la dénonciation, mais ce recueil des réclamations est un élément intéressant, selon lui, dans la « construction de la meilleure décision politique ».
Europe
Rennes Métropole et la ville de Rennes ont ouvert leurs données publiques pour les rendre disponibles à tous ceux qui voudront en faire quelque chose. C'est la première expérience française en matière de transparence qui a été sélectionnée dans la catégorie européenne. Concrètement, un certain nombre de données enfouies dans des ordinateurs sont rendues publiques en temps réel dans certains secteurs de la vie urbaine, comme l'état des transports ou des escalators. Maintenant que ces données sont accessibles et peuvent être partagées, leur réutilisation par les usagers est rendue possible. Rennes vient même de lancer un concours pour que les citoyens développent des applications sur des téléphones portables à partir de ces données.
International
C'est une sénatrice australienne, Kate Lundy, qui a reçu le trophée pour son engagement avec sa campagne Public sphere pour le gouvernement ouvert. Elle a ainsi organisé plusieurs forums pour un gouvernance plus participative. Ces rencontres qui rassemblaient des professionnels du domaine comme des citoyens a permis d’établir des recommandations en utilisant comme outil collaboratif un wiki. Ce rapport qui appelle à améliorer l’efficacité et la transparence de l’administration (loi sur l’information,...), à permettre l’implication de tous dans la réponse aux défis modernes complexes comme le changement climatique. Cette campagne a réussi en débouchant sur l'adoption par le gouvernement de l’époque d'une déclaration sur le sujet qui décline des axes de travail. Depuis, les choses évoluent : l'ensemble des publications de l'administration par exemple ne relèvent plus du copyright mais de la licence "Creative commons". Ainsi le gouvernement permet la réutilisation gratuite de toutes les informations des administrations à condition de citer la source.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire