Dans son travail, le Forum européen de la Jeunesse regroupe différentes organisations de jeunesse d'Europe. L'an passé, il a lancé un processus qui vise l’adoption d’une Convention européenne sur les Droits des Jeunes dans le cadre du Conseil de l'Europe.
La question de la reconnaissance légale des droits des jeunes a repris son souffle lorsque l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté une motion demandant un rapport sur les éventuels bénéfices d’une convention européenne sur les droits des jeunes. Suite à cela, le Forum européen de la Jeunesse a décidé de lancer un rapport et d’enquêter sur la situation des droits des jeunes en Europe. Et ce rapport a été publié cette semaine.
Le FEJ plaide pour une convention qui garantirait des droits spécifiques aux jeunes, notamment aux étudiants : la participation, le droit à un emploi décent et à la protection sociale, la liberté d’expression, la justice des jeunes majeurs et la détention, la non-discrimination et l’égalité des chances, la mobilité et le transport, la santé sexuelle et reproductrice, la religion et l’objection de conscience, et la sensibilisation aux droits des jeunes.
Cette convention n'aura pas le même impact partout le jour où elle serait signée par les Etats-membres, car les enjeux ne sont pas les mêmes selon les pays : la promotion de la santé en Pologne ou en Suède n'atteint pas le même degré d'efficacité, la place des religieux dans les cours d'éducation à la sexualité n'est pas la même, ce qui n'est pas sans impact sur le contenu des cours.
La notion même d'égalité des chances demande à être affinée dans le contexte de l'éducation. On pense notamment à l'égalité d'accès au système éducatif : le fait qu'on puisse rentrer dans une université ou devenir apprenti sans discrimination basée sur des motifs interdits (origines,...). En aval de l'accès, il faudra penser aussi à la motivation des élèves, leur ambition et des facteurs jouent ici sans qu'il soit question au sens légal de discrimination : l'attitude des professeurs par exemple.
L'impact des enseignants dans l'égalité des chances des élèves
Dans une expérience à laquelle je participe dans le 18e arrondissement de Paris, on implique les élèves dans l'évaluation de la qualité de vie de leur établissement. Sur le climat scolaire, on note le sentiment d'injustice des élèves vis-à-vis de leurs professeurs. Ce sentiment peut être compris de plusieurs manières. Dans un premier temps, l'explication la plus simple était qu'on ne punit jamais les élèves de la même manière pour un même acte. Effectivement, pour un élève qui cumule des difficultés familiales, il ne sera pas puni de la même manière qu'un élève dans une période normale. Vendredi, une deuxième explication était donnée par une élève de 5e : elle voudrait que les professeurs soient attentifs à "ne pas punir toujours les mêmes et à interroger toujours les mêmes".
Aujourd'hui, je lis un article dans le Guardian qui apporte un autre éclairage sur cette deuxième hypothèse : un rapport écrit par des chercheurs en économie de Brixton, fait le point sur les résultats aux évaluations nationales. L'étude conclut que les élèves noirs ont de bien meilleurs résultats lors des évaluations nationales que dans les évaluations données par leurs professeurs. Les élèves d'origine indienne et chinoises ont tendance à être par contre surnotés, surtout en mathématiques, tandis que les blancs des classes populaires sont eux sous-notés par leurs enseignants.
Ce constat rappelle étrangement des études réalisées par l'équipe de Pierre Bourdieu autour de l'attitude des enseignants vis-à-vis de leurs élèves selon leur milieu social. Leur implication a un impact majeur dans la stimulation de leurs élèves. Ce véritable effet Pygmalion joue en la défaveur des élèves déjà défavorisés. Bruno Masurel d'ATD Quart Monde rapporte une anecdote très intéressante qui parait aussi très irréelle (reprise sur le site de Philippe Meirieu dans un texte intitulé "vivre la citoyenneté au collège") :
Je raconte très souvent l’histoire (vraie) de 2 élèves de 6°, Marie Jo et Didier, dont deux professeurs disent, au conseil de classe du premier trimestre, qu’ils sont sûrs qu’il vont redoubler, à la fin de l’année. Leur professeur principal, qui est nouvelle, qui est prof. de français, est elle-même très choquée par ce jugement, qui l’empêche de dormir une bonne partie de la nuit. Le lendemain, les élèves lui demandent « qu’est-ce qu’ils ont dit au conseil de classe ». Elle leur dit la vérité : deux professeurs, qui sont expérimentés, pensent que Marie Jo et Didier vont redoubler. Elle leur dit que cela l’a beaucoup choquée d’entendre ça, et elle leur demande ce qu’ils en pensent, et ajoute ce que elle-même en pense : Si on n’accepte pas ce jugement, qui condamne deux élèves, dès le premier trimestre, cela peut se passer autrement.
Face à ce défaitisme annoncé, la classe se réorganise pour aider les deux élèves condamnés et la coopération avec ceux qui ont des meilleurs résultats conduit finalement à l'absence de redoublement : ces élèves qui n'auraient pas progressé sinon réussissent à acquérir les compétences demandées pour passer en classe supérieure. Cette réorganisation exceptionnelle interroge les pratiques professionnelles des enseignants, les préjugés et la capacité à déjouer le "prévisible".
Cet effet Pygmalion a des sources profondes et certaines tout à fait rationnelles : tout le monde connaît grosso modo les grandes tendances statistiques de réussite scolaire. L'enquête anglaise a un titre éloquent en la matière : "Test Scores, Subjective Assessment and Stereotyping of Ethnic Minorities". Les stéréotypes sur les classes sociales et/ou les minorités ethniques ont certainement un fonctionnement similaire.
La différence dans l'évaluation est d'autant plus important dans les zones où les pauvres ou les minorités sont rares. Les stéréotypes seraient donc bien à l'origine des ces différences de traitements selon l'origine des personnes. À l'heure actuelle, je ne sais pas si ces traitements différenciés seraient reconnus comme des pratiques discriminatoires d'une personne chargée d'une mission de service public : cela se passe à l'école, il ne s'agit pas à proprement parler d'un refus de service, car tous les élèves sont évalués, et on ne leur refuse aucun droit. Indirectement, on objective grâce aux statistiques ces traitements différenciés en Grande-Bretagne, mais une telle enquête en France ne serait pas légale dans les mêmes conditions. Mais on peut présumer que le même phénomène existe en France.
L'article conclut à juste titre que cette lutte contre les stéréotypes n'est pas prise en compte par la législation actuelle sur l'égalité de traitement. À l'échelle européenne, cela demande donc des actes supplémentaires pour réduire les mécanismes de reproduction sociale et j'espère que le projet de convention européenne en tiendra compte.
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