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mardi 11 août 2009

Comment je vis à Paris sous le seuil de pauvreté... sans trop de difficultés

J'apprends aujourd'hui que le seuil de pauvreté en France n'est pas de 880 euros comme je le pensais, mais de 908 euros net.

Damned ! Sans même m'en rendre compte, ma situation aurait radicalement évolué, car je suis passé sous le seuil de pauvreté... Bon comme l'explique l'Observatoire des Inégalités, je ne suis pas tout seul dans ce cas :
En 2007, 8 millions de personnes en France disposaient d'un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté tel que défini par l'Union européenne, soit 60 % du niveau de vie médian.
Je vous rassure, je le vis plutôt bien et je mange équillibré à chaque repas, et même bio, la plupart du temps. Reste qu'avec un certain mode de vie et un loyer modéré, même à Paris, on peut vivre sans frustration... Voilà que je me mets à défendre le principe du "quand on veut, on peut !" ? C'est l'occasion de revoir le rôle de la pauvreté dans les inégalités de santé, d'un certain point de vue sociologique.

En fait, ça me rappelle une discussion que j'avais eu en première année de socio à Nanterre avec ma prof qui faisait cours sur la stratification sociale en France. Je venais de lire le livre de Jacques Lautrey, Classe sociale, milieu familial, intelligence.

On sait depuis longtemps que les enfants d'ouvriers ont tendance à moins réussir à l'école que d'autres enfants ; certains pensent que le revenu est la raison principale de cette inégalité de réussite. Dans le livre de Lautrey, c'est ce raisonnement qui est suivi : moindre revenu, donc moindre stimulation, donc capacités intellectuelles moindres, donc moindre réussite scolaire.

Pour démentir le lien entre revenu et développement de l'"intelligence" (ou en tout cas de ce qui est mesuré par les tests de QI), Anne Steiner prenait l'exemple des réfugiés. Ces derniers, souvent diplômés, qui fuient par nécessité politique (persécution, mise en péril de leur famille, etc.), arrivent en Europe dans des situations précaires. On peut même supposer que ces conditions sont en pleine régression. Bref, ils arrivent, se dégotent un logement avec le peu de fric qu'ils ont gardé d'un emploi qu'ils ne pourront pas garder en France (exemple typique, enseignant).

Ils se retrouvent donc dans un petit appartement. C'était un des critères utilisés par Lautrey qui était la taille du logement pour décrire les conditions de vie. Du nombre de pièces dépend la possibilité de faire ses devoirs par exemple, pour Lautrey, comme d'autres apprentissages. Or, dans un petit logement, ces conditions deviennent compromises pour développer l'"intelligence".

Pour ma prof, cet argument ne tient pas justement à cause du capital culturel. Aucun échec scolaire chez les enfants de réfugiés pauvres, a priori aucune faille dans le développement des capacités intellectuelles compatibles avec l'école (dont celles qui sont testées dans les tâches scolaires). Par le capital culturel, on entend en sociologie à la suite des travaux de Pierre Bourdieu, les pratiques culturelles qui dotent l'individu de qualités particulièrement estimées dans la société (pour résumer). Or, pour ces réfugiés (souvent intellectuels), on les dit justement dotés d'un fort capital culturel et procurent "malgré les conditions difficiles" l'attention aux détails nécessaires au développement des capacités scolaires de leurs petits.

Ce ne seraient donc pas les conditions matérielles et objectives de la pauvreté qui feraient que cette pauvreté est plus ou moins difficile à vivre, si l'on suit le raisonnement d'Anne Steiner. Ce sont les modes de vie (et l'éducation) qui décident de tout. Est-ce que c'est le problème de l'oeuf et de la poule ? Qui vient en premier ? Ce n'est pas exactement ça. De même, ce n'est pas parce qu'on donne la gratuité aux moins de 26 ans (quand ils sont nés dans l'Union Européenne) dans les musées qu'ils vont s'y précipiter, l'éducation et les habitudes y jouent pour beaucoup.

Au-delà de l'éducation et de la familiarisation avec telle ou telle pratique encensée (comme la fréquentation des musées) faut-il oublier la question de l'accessibilité ? Ici on ne peut pas en déduire de tout ça qu'il faut éviter la gratuité ou qu'il faut rendre l'accès aux musées plus difficile financièrement à cause du rôle peut-être marginal du prix. Idem pour l'alimentation bio. Si l'on pouvait baisser le prix du bio, ce serait une bonne chose. Comme me le rappelait Bettina, une collègue allemande, le bio en Allemagne coûte moitié prix par rapport à la France, donc le secteur français peut encore évoluer. Pourtant, même cher, j'arrive à me l'offrir. Encore une fois, ce sont les habitudes et notre vision des biens essentiels pour notre propre vie qui déterminent notre niveau de vie malgré cette pauvreté relative.

Voilà pourquoi la notion de seuil de pauvreté n'est pas à même d'analyser le sentiment de pauvreté subi. De plus, ce n'est que la pauvreté calculée en fonction du revenu et pas celle en fonction d'un panier de biens (les choses que certains sociologues estiment comme essentielles pour vivre telles que certains aliments de base ou la possibilité de faire face à des côuts élémentaires de santé). Sur ce problème parmi d'autres, un livre excellent et très simple à lire vient de sortir : Le Grand truquage, écrit par un collectif de statisticiens issus de l'INSEE, certainement les mêmes qui fréquentent l'association Pénombre.

C'est l'occasion ici d'insister sur l'importance à la fois de l'accessibilité et de l'information dans un autre domaine où on rencontre d'autres inégalités : la santé. Lors de la conférence à Bruxelles sur la santé des jeunes, j'ai rencontré une fille de l'UNEF (le syndicat étudiant français qui forme les cadres socialistes) qui ne comprenait pas du tout l'importance de l'éducation pour la santé : "Oh, ils sont bien gentils dans cette conférence à parler tout le temps de la prévention, mais il faudrait peut-être parler de choses plus importantes, plus politiques, comme la question du coût et de l'accès aux soins." Je n'ai pas pu parler longtemps avec cette personne, d'autant qu'elle était là pour d'autres raisons que d'échanger : elle était chargée des relations internationales.

Ici le contre-exemple le plus frappant est le dépistage pris en charge par les caisses d'assurance maladie. Plusieurs programmes existent de manière complètement gratuite (dépistage des caries pour les enfants, pour le cancer du sein). Or, malgré l'accès facile, ce sont toujours les mêmes milieux précaires qui ne sont pas familiers avec les dépistages pour des raisons d'information principalement. Toutes ces familles reçoivent les invitations de la Caisse d'assurance maladie où la gratuité est bien précisée, mais ce n'est pas suffisant comme les travaux de Georges Menahem l'ont montré. D'où l'importance de la promotion de la santé parmi d'autres politiques...

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